Dieu en toutes choses
Cette véritable possession de Dieu se situe dans l’âme dont l’intention intérieure et spirituelle est dirigée vers Dieu, non pas dans une pensée continue et toujours semblable, car ce serait impossible ou très difficile à la nature, et ce ne serait pas non plus le mieux. L’homme ne doit pas se contenter d’un Dieu qu’il pense, car lorsque la pensée s’évanouit, Dieu s’évanouit aussi. Bien plutôt on doit posséder un Dieu dans son essence, loin au-dessus des pensées de l’homme et de toute créature. Ce Dieu ne s’évanouit pas, à moins que l’homme ne se détourne volontairement de lui.
Qui possède ainsi Dieu dans son essence saisit Dieu selon le mode de Dieu, et pour lui Dieu resplendit en toutes choses car toutes choses ont pour lui le goût de Dieu et il voit son image partout… De la même manière que celui qui ressent violemment une grande soif peut faire bien autre chose que boire et avoir aussi d’autres pensées, mais qu’il fasse n’importe quoi ou soit avec n’importe qui, ou quelle que soit son intention, sa pensée ou son occupation, l’image de la boisson ne le quitte pas tout le temps que dure sa soif ; et plus la soif est grande, plus l’image de la boisson est intense, intérieure, présente et continue. Ou encore : celui qui aime une chose ardemment et de toutes ses forces, en sorte qu’il n’a de goût, ni de coeur à quoi que ce soit d’autre, ne pense qu’à cet objet et absolument à rien d’autre ; et certes, n’importe où et avec n’importe qui, quoi qu’il entreprenne ou quoi qu’il fasse, jamais son amour ne s’éteint en lui ; en toutes choses, il trouve l’image de ce qu’il aime, et elle lui est d’autant plus présente que son amour devient plus fort. Cet homme ne recherche pas le repos, car aucune inquiétude ne le trouble.
Maître Eckhart, Instructions spirituelles 6