Thérèse de l’Enfant Jésus, Lettre à sœur Marie du Sacré Cœur, Manuscrits Autobiographiques, p. 226-229
Dans le cœur de l’Église, je serai l’amour
Malgré ma petitesse, je sens le besoin, le désir d’accomplir pour toi, Jésus, toutes les oeuvres les plus héroïques… Je voudrais parcourir la terre, prêcher ton nom et planter sur le sol infidèle ta Croix glorieuse, mais ô mon Bien-Aimé, une seule mission ne me suffirait pas, je voudrais en même temps annoncer l’Évangile dans les cinq parties du monde et jusque dans les îles les plus reculées. Je voudrais être missionnaire non seulement pendant quelques années, mais je voudrais l’avoir été depuis la création du monde et l’être jusqu’à la consommation des siècles…
Ô mon Jésus ! À toutes mes folies que vas-tu répondre ? Y a-t-il une âme plus petite, plus impuissante que la mienne ! Cependant à cause même de ma faiblesse, tu t’es plu, Seigneur, à combler mes petits désirs enfantins, et tu veux aujourd’hui, combler d’autres désirs plus grands que l’univers.
À l’oraison, mes désirs me faisant souffrir un véritable martyre, j’ouvris les épîtres de saint Paul afin de chercher quelque réponse. Les chapitres 12 et 13 de la Première Epître aux Corinthiens me tombèrent sous les yeux. J’y lus, dans le premier que tous ne peuvent être apôtres, prophètes, docteurs, etc., que l’Eglise est composée de différents membres et que l’oeil ne saurait être en même temps que la main.
La réponse était claire, mais ne comblait pas mes désirs ; elle ne me donnait pas la paix. Comme Madeleine se baissant toujours auprès du tombeau vide finit par trouver ce qu’elle cherchait, ainsi, m’abaissant jusque dans les profondeurs de mon néant, je m’élevai si haut que je pus atteindre mon but. Sans me décourager, je continuai ma lecture et cette phrase me soulagea : « Recherchez avec ardeur les dons les plus parfaits, mais je vais encore vous montrer une voie plus excellente » (1Co 12,31). Et l’Apôtre explique comment tous les dons les plus parfaits ne sont rien sans l’amour. Que la charité est la voie excellente qui conduit sûrement à Dieu.
Enfin j’avais trouvé le repos. Considérant le corps mystique de l’Église, je ne m’étais reconnue dans aucun des membres décrits par saint Paul, ou plutôt je voulais me reconnaître en tous. La charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que si l’Église avait un corps composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Église avait un cœur, et que ce cœur était brûlant d’amour. Je compris que l’amour seul faisait agir les membres de l’Église, que si l’amour venait à s’éteindre, les apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les martyrs refuseraient de verser leur sang. Je compris que l’amour renfermait toutes les vocations, que l’amour était tout, qu’il embrassait tous les temps et tous les lieux ; en un mot, qu’il était éternel.
Alors, dans l’excès de ma joie délirante, je me suis écriée : Ô Jésus, mon amour ; ma vocation, enfin je l’ai trouvée ; ma vocation, c’est l’amour.
Oui j’ai trouvé ma place dans l’Église et cette place, ô mon Dieu, c’est vous qui me l’avez donnée. Dans le cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’amour ; ainsi je serai tout, ainsi mon rêve sera réalisé.