Et si nous écrivions l’histoire du grain de blé…
» Le grain de blé est parfaitement heureux dans son grenier. Il ne pleut pas dans le grenier. Il n’y a pas d’humidité. Et les petits copains du grain de blé sont bien gentils ; il n’y a pas de bagarre entre eux. Il est heureux, très heureux. «
Par comparaison à ce que nous appelons le bonheur, c’est-à-dire la santé, la fortune… il est heureux. Mais remarquez que c’est un petit bonheur de grain de blé dans un grenier. Je le dis doucement parce qu’il ne faut pas mépriser le bonheur humain. J’ai le droit de travailler à ma santé, à l’aisance et à tout cela. Rien de méprisable en tout cela. Mais par rapport à ce qu’il doit être, c’est un petit bonheur. J’aime beaucoup l’expression « an petit bonheur ». Nous marchons en cherchant le petit bonheur.
En écrivant, vous imaginerez que ce grain de blé est très pieux et qu’il remercie Dieu en disant : » Seigneur, je te remercie pour toutes tes grâces : il ne pleut pas, il n’y a pas d’humidité, je suis bien tranquille, c’est parfait. Merci Seigneur. «
En faisant cette prière, le grain de blé s’adresse à un Dieu qui n’existe pas. Il s’adresse à une idole. Un Dieu qui serait le père et le garant d’un petit bonheur dans un grenier, ou qui serait l’auteur et le garant de la bonne santé des hommes, de leur aisance et de leur fortune. Ce Dieu là n’existe pas. N’allons pas nous mettre à genoux devant une idole. Le Dieu qui existe est celui qui va transformer le grain pour qu’il devienne ce pour quoi il existe, c’est-à-dire, un épi.
Mais continuons notre rédaction : » Un jour, on charge le tas de blé sur une charrette, puis on sort dans la campagne. C’est encore bien mieux que dans le grenier, c’est merveilleux : le ciel bleu, les oiseaux, les fleurs… Mais le grain est toujours un grain. Il n’est pas transformé. Pieusement, il loue Dieu de plus belle : ‘La vie, c’est encore beaucoup plus beau que je ne pensais, c’est formidable. Merci, Seigneur’ « .
Il s’agit toujours d’un Dieu qui n’existe pas. Bien sûr, vous pouvez nuancer ce jugement, car ce Dieu existe aussi et j’ai bien le droit de louer Dieu pour ma joie et mon bonheur ici-bas. Je dois même le faire, à condition que je m’adresse au vrai Dieu. Or, le vrai Dieu, c’est celui qui va venir maintenant.
» On arrive sur la terre fraîchement labourée, on verse le tas de blé sur le sol et puis on l’enfonce dans la terre. A ce moment-là, le grain de blé sur le sol n’y comprend plus rien. Comme on dit autour de nous :’Si Dieu existait, de telles choses n’arriveraient pas.’ Et notre petit grain se met à regretter le bonheur de son grenier, il se sent mourir, l’humidité le pénètre jusqu’au centre, il se dissout « .
C’est à se demander, à ce moment-là, si la vie n’est pas purement et simplement absurde.
» Quelques semaines plus tard c’est la moisson, et le grain est devenu un bel épi, et c’est pour cela qu’il existait. «
François Varillon sj
Extrait de » Vivre le christianisme « .